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J'ai abordé les années 70 avec toute l'insouciance et l'ingénuité de l'époque à laquelle s’ajoutait la mienne, après sept ans passés dans les Maisons d'Éducation de la Légion d’Honneur et dans une famille où il était indécent de parler d'argent. Le sang d'un poète, mon grand père, qui passa sa vie dans les belles lettres et celui d'un cagoulard de père me portaient à une vision littéraire et subversive du monde. Le soulèvement de 68 entr'aperçu en parcourant rues et amphis avant d'être envoyée par ma famille dans le château familial du haut Jura nourrit mon choix des communautés à caractère politique : “Ivry “ communauté maoïste liée au philosophe René Sherer et à Guy Hocquenguem beau militant du FHAR et “Pontoise“ qui tourne tendance Baader faux chèques, faux papiers pour l'extrême gauche. J'étais héritière distribuais mon argent aux blacks panthers aux déshérités (ce que je suis vite devenue) aux copains. Déjà artistes Philippe, Henri Rolland que je rebaptiserai "Flesh" quand je prendrai moi même le nom de "Fury" quelques années plus tard à Paris, Yves et moi avions une grosse production de photos et de films de fictions réalisés en décor dans la maison et sous drogues diverses, psylocibine en tête pour ses effets hallucinogènes,films perdus, volontairement détruits dans un esprit purificatoire, bien plus tard, par mon frère.

 

Nous allions “faire les courses“ chez Fauchon puis des distributions ”le luxe pour tous“ ! Inutile de préciser que je me suis retrouvée, moi aussi, très vite déshéritée, évitant quand même le pire. J'étais affreusement suicidaire face à mes échecs et terrorisais mon frère par les autopunitions que je m infligeais sténographiées à la Gina Pane !

Un soir, nous sommes à Paris, aux Halles, nous croisons une camarade très active, très à gauche, elle nous prévient qu'elle a eu une descente de flics : il y en avait régulièrement c'était la traque aux gauchistes. Ils l'ont interrogée, elle nous met en garde. Le soir nous vidons la maison de toutes les pièces à conviction nous la quittons à quatre heures du matin, embouteillages aux portes de Paris, je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie : je prie, je jure de Tout arrêter. Nous arrivons enfin à bon port, le jour bien levé, dans la maison de campagne parentale de l'un de nous. Nous apprendrons les jours suivants que des camions de la gendarmerie sont arrivés à cinq heures du matin, une demi heure après notre départ. Ils fouilleront tout jusqu à soulever les lattes du plancher. Il est temps de se mettre au vert.

 

Le voyage au Maroc avec des étudiants révolutionnaires mexicains et leur bébé dans un bus Wolkswagen, Eric, mon amoureux, avec lequel je dévore tous les livres que je n'ai pas eu le temps de lire (Blanchot ,les Situs, je suis la Nadja de Breton) m'avait laissé un goût emmerveillé pour la vie en communauté en pleine nature pour aborder les questions fondamentales de notre Futur. L’ envie de recommencer se précise en France quand un élégant avocat parisien connu des gauchistes me parle d'une ferme complètement isolée dans un panorama fantastique qu il nous cède à bon prix avec une rente viagère à payer. Je rachète la propriété de 100 hectares dans une vallée de rêve du désert de Drôme avec deux corps de bâtiment séparés par une source, un lavoir, un four à pain que nous utiliserons régulièrement. J’achète un tracteur, un car recyclé, des chèvres, des chevaux, des instruments de musique : marinba, clarinette, mon frere emporte son sax des musiciens nous rejoignent. Il y a des champs cultivables et plantés de Luzerne pour les chevaux. Nous moissonnons avec l'aide d’un jeune agriculteur voisin ravi de la présence de jolies jeunes filles je suis la maîtresse et la garçonne de ce lieu d'expérimentation, sorte de TAZ, nourri de Steiner devenue lieu de passage obligatoire pour l'antipsychatrie les fous les paumés les rêveurs comme moi, nous formions avec mon frère un couple sulfureux "dé-jeantés" mais tres attractifs.

 

Je garde un souvenir triste de “La Grenette” comme celle d'un tableau raté. J’avais fait fausse route ,je consommais de plus en plus de drogues pour soutenir un projet impossible dont je vivais l'échec à long terme au quotidien dans cette propriété où nous vivions en toute liberté en mangeant les pommes et les noix tombées de cet éden utilisant comme désinfectant l'essence de nos lavandes distillées chez le paysan. Des nuits de rêve, porte ouverte à moins trente degrés sur la montagne étoilée, les bains de boue avec l'argile verte et collante de la vallée, le contact chaleureux avec des paysans voisins, le boulanger du village qui nous voyait arriver à cheval sous la pleine lune nous sortions les fromages de chevres que nous dégustions avec son pain au levain sorti du four, la naissance des chevreaux, les courses à cheval, ma jument grise réformée des courses, ma compagne, qui filait comme une flèche que m avait trouvée le maquignon de Bourdeau.

Un rendez vous manqué avec la révolution mais un rendez vous cosmique je m'enfuis à Paris où je reprends mes marques dans le milieu artistique, seul espace de liberté où je vais ne pas mourir me construire une identité nommée FURY et bâtir mon oeuvre sur le chaos.

Mon frère agonise j envoie une ambulance le chercher on diagnostique une fièvre de Malte. THE END

 

Dominique FURY plasticienne